Nob Deepdelver

Yann est arrivé le matin même à Plonevez. Monsieur Lannuzan, directeur de l'agence immobilière locale l'a convaincu de vendre le manoir familial resté inoccupé depuis le décès de son grand père respectable député, un homme à la fois sévère et rigoureux.

Yann pénètre dans la maison. La pièce principale baigne dans la pénombre, il aperçoit un imposant fauteuil recouvert d'un drap en métis blanc, un buffet vide dont les portes démontées reposent en appui contre la bibliothèque ainsi que plusieurs rectangles décolorés sur les murs qui indiquent l'emplacement des tableaux qui ont été décrochés. Tout est fin prêt pour le déménagement, il ne lui reste plus qu'à vider le grenier.

 

 

L'escalier abrupte craque sous ses pas, l'endroit est sombre. La pièce est remplie d'objets singuliers. Un violon repose sur une valise en carton vide, peut être est-ce celui de son arrière grand mère. A côté de l'instrument, une caisse contient des dizaines de livres. Il souffle dessus. Ce sont des manuscrits qui traitent de politique et de financement . Près d'une vieille armoire vermoulue, des photographies, abandonnées là depuis presque un demi siècle recouvrent le sol poussiéreux. Yann ne reconnaît personne. Dans un coin, éclairé par la lumière du soleil, un vieux coffre paraît avoir été abandonné depuis une éternité. Yann s'approche et soulève le lourd couvercle de bois. A l'intérieur, il découvre une étrange figurine entourée de fils. C'est un chat, un chat avec des ailes, une marionnette à fils. Yann, intrigué, se pose mille questions : à qui appartenait donc cette étrange animal ? Observant la marionnette, il tente de la faire bouger, il commence par la patte avant droite, puis celle de gauche, et enfin les pattes arrières et la tête. Ce chat semble posséder quelque chose de magique, Yann se surprend à lui parler comme s'il pouvait l'entendre. « Raconte moi ton histoire » lui demande t'il. « Malheureusement, ce n'est pas possible » lui répond le chat « Seul, je ne sais rien faire. C'est mon détenteur qui, en bougeant mes fils, me donne la vie. Sans lui, je ne suis rien… Mais si tu coupes mes fils, si tu me rends ma liberté, si tu me délivres de cet enchevêtrement qui me retient prisonnier, alors je te conduirais vers le plus incroyable des voyages». Sans réfléchir, Yann saisit une paire de ciseau et s'exécute. Bientôt, plus aucun lien ne retient la marionnette qui s'écroule bruyamment sur le sol. Yann la regarde tomber déçu. A quoi d'autre pouvait t'il donc consciemment s'attendre ? Fatigué par cette longue journée et désabusé par ce qui vient de se passer il s'allonge sur un vieux matelas de laine et s'endort presque immédiatement. Durant la nuit il fait un étrange rêve. Lui et le chat survolent des endroits oubliés, magiques. Ils sont entraînés de plus en plus haut dans le ciel, vers les nuages aux formes inattendues. Ils survolent la mer, le phare de Cordouan, les prairies de Landaoudec, puis ils s'étendent insouciant sur l'herbe fraîche. Soudain Yann entend une douce mélodie. Il veut se lever pour savoir d'où viennent ces chants, mais il décèle un bruissement non loin de lui. Une merveilleuse jeune fille, se dirige vers un pommier en fleur.

 

 

Se croyant seule, elle a retiré sa robe de dentelle blanche et s'est retrouvée nue au milieu de la prairie. Sous ses pieds elle sent la fraîcheur de l'herbe humide et les picotements des brins de genêts. Son corps est parfait, il étincelle comme un rayon de soleil. A la vue de ses longs cheveux d'or, doux comme de la soie, de ses yeux bleus qui illuminent son regard, de sa bouche fine et de son joli nez un peu retroussé Yann frissonne. Elle ne marche pas, elle vole, elle danse même, elle se balance doucement effleurée par une brise marine invisible. Ses seins sont fermes et pointent légèrement vers le ciel. Son ventre plat, est marqué d'un mignon petit piercing couleur océan au creux de son nombril. Yann, ému par ce spectacle, caché derrière un buisson de genêts, fixe la jeune femme, il sent son cœur battre à tout rompre. Sans même sans rendre compte, il se lève et s'avance vers elle…Soudain, ils se font face, les oiseaux cessent leur gazouillis comme si la nature retenait son souffle. Elle lui sourit, il n'ose plus bouger de peur qu'elle ne s'évanouisse. Il se penche pour ramasser une fleur de ciste et doucement la lui accroche dans les cheveux. Ils n'échangent aucun mot, il serait inutile. Une nuée de papillons multicolores prend son envol . Elle lui tend la main, il l'embrasse tendrement, ses lèvres glissent le long de son poignet, de son coude, remonte vers son épaule et se perdent au creux de son cou. Elle ferme les yeux, se laisse guider, s'allonge sur un lit de mousse et s'abandonne. Ses larges mains caressent son corps, elle se cambre sous le plaisir qui l'envahit.

 

 

Mais brusquement Yann est réveillé par une voix. Il ouvre les yeux, déçu que son rêve est été interrompu. Il découvre sur le rebord de la lucarne le chat volant. Il est vivant et regarde avec insistance la lune qui brille dans la nuit noire. « Je ne voulais pas te réveiller » dit-il, « mais bientôt le jour va se lever et je devrai regagner le pays magique. Je ne voulais pas partir sans t'avoir remercié et t'avoir dit au revoir »

« Attends, attends encore un peu » s'exclame Yann. « Qui est-tu ? D 'où viens-tu ? Raconte-moi ton histoire. »

« Mon nom est Nob Deepdelver.

Il y a fort longtemps vivait sur les terres magiques, un puissant sorcier nommé Beryl Smallburrows of Sandydowns, il parcourait la forêt monté sur un noir destrier semant la terreur et le chaos, n'hésitant pas à transformer en créatures visqueuses, flasques et couvertes de pustules tous ceux qui croisaient son chemin. La seule rumeur de son approche suffisait à faire trembler les plus courageux. Devant tant de méchanceté, le Conseil des Anciens décida de le bannir. Beryl Smallburrows quitta le pays magique en jurant de se venger et alla s'installer sur une petite île du nom de Sweetpea Burrows.

Par un beau matin de printemps, alors que j'étais encore tout jeune et que je voletais dans le ciel en faisant des loopings, je franchis sans même m'en apercevoir les frontières du pays magique. Quel plaisir de survoler la mer et de profiter des rayons du soleil, insouciant, je décidais de faire une petite halte sur la plage avant de rentrer. A peine ai-je posé une patte sur le sable doré que je sentis une main ferme et brutale me saisir par une aile et me soulever de terre. Je me débattis de toutes mes forces jusqu'à l'épuisement. Je voulus hurler mais en vain, Beryl Smallburrows riait plus fort encore. Fier de sa capture, il tenait enfin en main sa vengeance. Il me fixa dans les yeux de son regard effrayant et se mit à prononcer des paroles étranges d'une voix grave. Puis il me dit : « A compter de ce jour, tu ne seras plus qu'une figurine de bois qu'une main souveraine fera mouvoir. Mais comme je suis bon prince » dit-il en ricanant « si au 200éme solstice d'été, un être de chair venait à t'entendre et à couper tes liens alors tu serais libre de rentrer chez toi » Je ne compris pas de suite ce qu'il avait voulu dire et je m'évanouis.

A mon réveil, je ne sentis aucune douleur, je n'avais ni chaud, ni froid, je n'avais ni faim, ni soif. Je me trouvais accroché la tête en bas au fond d'une roulotte qui s'en allait cahotant. Autour de moi attachés par de fines cordelettes, se balançaient trois pantins de bois. Deux d'entre eux représentaient des hommes, l'un barbu ressemblait à un bûcheron et l'autre habillé de soierie semblait être un prince, le dernier était une femme à la longue chevelure noire. Nous allions de village en village tel des saltimbanques, nous nous arrêtions sur la place de l'église où notre maître à tous nous faisait courir, rire pleurer et chanter devant une foule enthousiasme. Je me languissais de mon pays, mais mon destin restait supportable. Et puis un jour le vieux marionnettiste ne se réveilla pas. La roulotte fut vendue et toutes les affaires jugées inutiles furent jetées sur un tas d'ordures : un vieux matelas, quelques pots de peintures, des vêtements usagés et moi-même. Je restais là pendant de longs mois parmi ces objets indésirables.

 

 

Un hiver terriblement froid se présageait : les lacs et les rivières étaient gelés, et chacun restait chez soi bien au chaud près du poêle. Je me sentis alors terriblement triste, impuissant, abandonné de tous. L'hiver passa finalement et le temps devint plus clément. Par une belle journée de printemps, un passant m'aperçut sur la pile de ce débarras et me tira de là. Il me souleva haut vers le ciel pour mieux m'examiner et décida de me ramener dans son atelier.

Après m'avoir longuement dépoussiéré et réparé avec soin la pointe de mon aile que le gel avait fissurée, il entreprit de me repeindre. Ce travail terminé, je fus suspendu dans la vitrine de sa boutique, incapable du moindre mouvement. Je ne sais combien de temps je suis resté là, immobile. Un matin une femme passa devant la vitrine et me fixa avec insistance. Quelques instants plus tard je me retrouvais emballé dans une boite de carton sombre. Je fus offert à un garçonnet d'une douzaine d'année, il était soigneux et très habile mais ne s'intéressa que très peu de temps à moi. C'est ainsi qu'après plusieurs années posé en décoration sur la commode d'une chambre d'enfant, je me retrouvais enfermé dans une malle au fond de ce grenier. J'aurai voulu hurler, mais pas un son ne sortait de ma bouche. J'aurais voulu m'envoler, mais mes ailes restaient figées. J'aurais voulu pleurer, mais aucune larme ne coulait. Alors, seul dans le noir le cœur triste et désespéré, je me suis endormi. Et aujourd'hui, l'inattendu est arrivé, tu m'as sauvé, tu m'as rendu ma liberté, je n'aurai jamais assez de toute ma vie pour te remercier.

Yann caresse doucement la tête de Nob Deepdelver, il sait déjà qu'ils resteront amis pour toute la vie. « Fais un vœu et je l'exaucerai ! » Lui dit Nop. Yann le regarde songeur. « Je ne souhaite rien d'autre que de trouver celle à qui j'offrirai mon cœur et pour cela, tu ne peux rien. » Nop sourit : « La frontière qui sépare le rêve de la réalité est parfois très mince, non loin d'ici vit une jeune fille, elle s'appelle Guewen. Elle est belle comme un rayon de soleil et fraîche comme la rosée. Et je crois bien que depuis cette nuit elle n'attend plus que toi …Maintenant, je dois partir .. Adieu Yann, prends soin de toi » ajoute t'il tristement à l'idée de devoir quitter non nouvel ami.

Nob Deepdelver regarde la lune, puis pose un dernier regard plein de sollicitude sur le jeune homme, avant de s'envoler vers l'immensité céleste. Il se retourne, ouvre grand ses ailes et disparaît dans le ciel. Léger comme une plume il s'envole dans le vent et monte se perdre dans l'air frais



18/07/2008
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